A chaque lecture, «le Grand Cahier» gagne en puissance, des strates vénéneuses émergent des nouveaux sens, des vérités plus dures encore.

Grand roman de logique, de réflexion, qui préfère brûler les sentiments pour ne garder que la structure des faits, l’histoire des jumeaux en pleine guerre reste fidèle au précepte: la composition doit être vraie.

Forced Entertainment, collectif d’artistes basés à Sheffield (UK), nous restitue en anglais (sous-titres en français) une performance avec une diction si parfaite que nous n’avons guère besoin de recourir aux sous-titres. Les deux acteurs, assis simplement sur des chaises, rendent honneur à un texte qui n’en finit pas de subjuguer.

Pas de tendresse, encore moins d’apitoiement. Les jeunes garçons avancent leurs pions méticuleusement dans un monde d’adultes, lesquels finiront par se faire essorer, même la grand-mère qui est un peu le centre de l’histoire et semble une force de la nature.

Regarder par le trou d’une serrure, repérer la cachette d’un trésor, scier les barreaux d’une échelle, enchainer les exercices d’immobilité, se donner des baffes, tout est organisé à but de sortir la tête de l’eau, cette eau souillée dans laquelle les adultes incompétents les ont laissés, et de perfectionner cette devise:
​It doesn’t hurt

A l’école de l’endurcissement, les «sales petits espions» capables de tout sont les grands gagnants. Plus durs que les durs, plus tenaces que les tenaces, ils assistent ou participent aux jeux sexuels pervers, bondage, sado-maso ou zoophilie, résistent aux injures, au manque d’hygiène, au froid comme à la privation de nourriture. Et finissent par se séparer.

Dans un monde sans prière, l’écriture d’Agota Kristof nourrit à chaque phrase le projet vertigineux de vaincre la douleur.

À voir au Théâtre de Vidy jusqu’au 12 janvier 2019: toutes les informations