La mort, bien que destinée à toutes et tous n’est pas pour autant un passage simple. Intersection complexe entre le passé et le no futur, pour l’aborder il fallait choisir le bon angle.
Et le metteur en scène Milo Rau, grand habitué des sujets tumultueux, a su prendre des gants de velours en parlant ouvertement, mais avec une certaine délicatesse, de ce sujet, mélangeant habilement les parcours de vie, en allant jusqu’à incorporer un extrait filmé d’une euthanasie en direct.
Âgée de 85 ans, Johanna est le départ de cette pièce. C’est elle qui a décidé de l’heure de son décès et invité sa famille et ses amis pour ce dernier moment qu’elle veut vivre «avec le sourire». Elle a accepté aussi d’inviter les quatre acteurs de «Grief and Beauty» en ayant pris soin, quelques jours avant, de discuter avec eux durant plusieurs heures, moment qui a permis de construire ce spectacle autour de son acte.
Les mots sont là ainsi que la musique. Le violoncelle pour dire la nostalgie, les cris de loups pour la révolte ou les chants d’oiseaux accompagnent de manière fine la profondeur des témoignages.
Mais comment procéder pour dire l’inévitable sans sombrer ni dans l’ennui ni dans la tristesse? En parlant d’autres morts, d’autres cas difficiles, lesquels sont racontés par les quatre comédiens – deux acteurs deux actrices – qui alternativement se souviennent de leurs moments douloureux.
Le jeune homme évoque son premier rôle dans le Petit Prince alors qu’il n’a que huit ans, avant de procéder à la toilette de l’octogénaire. La jeune actrice se souvient de son arrachement à son pays la Sierra Leone et la séparation avec sa famille. L’octogénaire raconte son passé d’acteur venu tardivement et des deuils en cascade qui ont ravagé sa vie. Puis c’est au tour de la femme mûre d’évoquer son histoire d’amour avec un homme plus jeune qui l’abandonnera et son chat qui finira écrasé.
«Grief and Beauty». Sclérose en plaque, chaise roulante, chagrin d’amour, divorce, décès, crise cardiaque, abandon, les souvenirs affluent, chacun son tour racontant des douleurs passées. Bien que décousues, les histoires se rejoignent grâce au sujet commun du deuil.
C’est là toute la réussite d’un exercice périlleux, rassembler les vivants autour d’un thème commun, récolter leurs parcours différents sans perdre les spectateurs dans l’espace, pour se relier finalement à Johanna, point de départ et aussi point de fuite de «Grief and Beauty».
Grâce à Milo Rau, on sait désormais que la mort n’est pas forcément un acte solitaire mais peut devenir une force solidaire. Et c’est là que le mot beauty entre en jeu. Renoncer, oui, mais ensemble.
Le spectacle «Grief and Beauty» est un spectacle de Vidy joué au théâtre de l’Octogone les vendredi 14 janvier, samedi 15 janvier et dimanche 16 janvier.
INTERPRÈTES: ARNE DE TREMERIE. ANNE DEYLGAT, PRINCESS ISATU HASSAN BANGURA, STAF SMANS, JOHANNA B. (DANS LA VIDÉO)
MISE EN SCÈNE : MILO RAU
MUSIQUE LIVE : CLÉMENCE CLARYSSE