«On est bien peu de chose, et mon amie la rose, me l’a dit ce matin…» Approche-toi de ton reflet et miroir, ô mon miroir, ne vois-tu rien venir ? Oui, regarde mieux, là, sous ta mèche pourtant brune, il te fait de l’œil, il est là négligemment posé, non pas comme un cheveu sur la soupe, mais comme un fil d’argent, ton premier fil d’argent.

Impossible de le louper, cat il scintille, il se tapit timide comme lorsqu’enfant tu avais écarté deux branches d’un buisson pour cueillir des myrtilles et que tu y avais découvert un faon. «Surtout ne le touche pas», avait conseillé ton père, et c’est ce que tu vas faire, ne pas le toucher.

Il brille presque comme une allumette, détonnant sur ses frères châtain foncé, unique, à l’image du vilain petit canard, différend mais prometteur d’un envol vers l’inconnu.

Il pousse directement sur les tempes des hommes ou sur le front bombé des femmes, tu distingues chez tes contemporains ce sel qui emboîte sur le poivre, ce flocon de printemps qui avance et qui pourrait passer pour une anomalie avant qu’il ne se répande comme poudreuse sur bitume. Même ton chien y a droit, puisque ses cils sont devenus, sans que tu t’en aperçoives, entièrement blancs.

Non, tu ne vas pas l’arracher ni le camoufler, tu choisis de préserver le patrimoine de ce qui t’a construit, autrement dit bonheur + embrouilles = la vie. Mieux, tu vas le chérir, le lustrer en attendant les autres, ses semblables, ses multiples qui, tels les bambous, vont proliférer bien plus vite que tu ne l’imagines pour, finalement, recouvrir ta tête d’un casque pacifique.

Ton premier fil d’argent ressemble au premier sou que tu as glissé dans ta première tirelire. Tu le gardes précieusement, tu sens qu’il va fructifier et faire de toi quelqu’un de riche.

Photographie noir-blanc d'une femme avec de très longs cheveux

Photographies: Louise Parker: Pieces of me et Tereza Zelenkova: The essential solitude