En 1968, la pianiste-icône, compositrice et chanteuse révoltée interprète «Ain’t got no… I got life». Impliquée dans les combats pour les droits civiques dès 1960, Nina Simone dénonce par le biais de cette chanson les violences et la ségrégation. La pauvreté, ain’t got no shoes, l’exclusion, ain’t got no class, le manque de culture ou de considération, ain’t go no name. Pourquoi je vis d’ailleurs? se demande-t-elle. C’est à force de volonté et de force intérieure que cette native de Caroline du Nord pourra faire la musique qu’elle aime malgré les préjugés ethniques qui l’éloignent d’abord de ses désirs musicaux. Jazz blues folk soul, elle excelle dans tout.

Autres temps, autres contrées, en 1996 à Paname, Mano Solo, guitariste et compositeur – ainsi que peintre et dessinateur de talent – et ses Frères Misère balancent non sans humour féroce «Je n’ai pas». Bougillon de la chanson réaliste, né dans une famille d’artistes engagés, pas plus pauvre que ça mais généreux (comme le prouve entre autres le don d’un de ses concerts pour le peuple malgache) il est un chanteur tout aussi impliqué. Il compose pour les désœuvrés de tous bords «je n’ai pas d’amour, j’ai passé mon tour», les potes précaires «je n’ai pas d’armure je n’ai pas de voiture», les lendemains qui crient «je n’ai pas de futur, je n’ai que la torture».

La structure des deux chansons diverge sur la fin. Pour Nina Simone, après la liste des manques vient l’espoir, le constat qu’il n’y a pas rien du tout, «I got my smile» que tout n’est pas fichu «got my boobs» que son âme est une alliée «got my soul» et que finalement «I’ve got life». La vision de Mano Solo semble plus désespérée, «je n’ai pas de papiers je suis mal barré», «je n’ai pas de pouvoir, je n’ai que le trottoir», «je n’ai pas de futur, je n’ai qu’un destin»…

Pourtant, ils disent la même chose. Quand Nina Simone chante «Je n’ai pas de maison ni chaussures», Mano Solo répond «je n’ai pas de maison mais je ne couche pas dehors». Quand Nina Simone écrit «Je n’ai pas de parfum ni de bière», Mano Solo confirme «je n’ai pas d’apéro je ne bois que de l’eau ». «Je n’ai pas de dieu» pleure Nina, Mano dit en écho «je n’ai pas de religion, je n’ai pas de goupillon». Leurs chansons contestataires se répondent, se complètent, comme une discussion qui reprendrait presque trente ans plus tard, comme une spirale universelle, celle de la liberté revendiquée haut et fort, de l’insoumission. Deux époques, deux personnalités différentes, deux voix pour un seul combat.