«Platonov ne m’intéresse pas, ce qui m’intéresse c’est comment il est vécu en chacun». Ces mots du réalisateur Alexandre Doublet permettent de se relier à son spectacle intense tiré de «Platonov», premier texte de Tchekhov, manuscrit resté inachevé.

Spectacle de la déconnexion, «Love is a river» invite à se retirer du monde pour entrer dans ce huis-clos.

La musique, d’abord, à la fois lancinante comme dans un film d’horreur ou romantique, alterne les chaud-froid qui plongent dans un état second.

Le décor ensuite, qui allie les trophées de chasse à une lumière bleutée galvanisante, entre hôpital et film de science-fiction.

Le texte, création sonore, voix off des comédiens préenregistrées, prend le risque d’un décalage surprenant et bienfaisant, et permet aux acteurs de mieux se penser. Libérés de la parole, ils laissent leur corps parler.

Totalement en phase avec le contexte, le ralenti n’est plus ressenti comme tel mais plutôt comme un vecteur de sensibilité.

L’acteur principal est peut-être l’eau, tapis énigmatique, nappe phréatique qui recouvre la scène, dans laquelle mijote le cadavre de Platonov, cet homme infidèle, cette «ordure», ce tant aimé dont le corps trône au milieu des fusils et des bouteilles. Cette eau ressemble à du latex noir sensible qui sursaute à chaque variation et n’en finit plus de se refléter, créant des vagues sur les murs et des remous dans les cerveaux.

Qui a tué Alexandre? Est-ce vraiment important? Non, il est plus évident de se relier aux témoignages douloureux de cet amour perdu, tué, et de voir ce qui suit, «une envie de dissection, d’ouvrir un corps de manière poétique» précise le metteur en scène.

Autour du mort, dans cet espace onirique, trois femmes et un homme recomposent les souvenirs. Et les acteurs se retirent, comme une marée qui se tournerait vers le ciel.

«Love is a river» d’Alexandre Doublet au théâtre de Vidy jusqu’au 11 mai.