Violent et réjouissant, «le Livre d’image» de Jean-Luc Godard aurait pu s’intituler la fête de l’inattention.

Puisque tout a été dire sur Jean-Luc Godard, il faudrait essayer de ne rien dire, ou peut-être inventer un mot, juste pour lui, moins par désir de le définir que par reconnaissance de son désir de montrer: par exemple «cinéastophile», tant le spectateur et le metteur en scène sont imbriqués.

Jean-Luc Godard est l’homme qui aime tellement le cinéma qu’il redevient un spectateur émerveillé à chacune de ses créations, en ce sens il est assis à côté de nous. Ses deux passions se mélangent tout comme les mots, les siens mêlés à ceux de ses auteurs de cœur, slogans révolutionnaires sur les murs, livres sortis des poches, souvent lus à haute voix ou simplement montrés comme des œuvres visuelles, jusqu’à faire de ses images des aphorismes, à croire qu’il dit les images…

Maître des bribes, Jean-Luc Godard nous rappelle en nous lançant ses morceaux au visage combien notre vie est constituée de petits bouts de nous inachevés. A l’image de son roman visuel, nous ne captons que des éclats du monde et des petits bouts de nous-mêmes dans un perpétuel inaboutissement.

«Le Livre d’image» nous confronte à notre inattention, nous ne sommes pas présents, sans cesse captés par des faits parallèles et secondaires auxquels nous donnons la première place. Ainsi le capitalisme peut avancer et asseoir son gros derrière sur le visage du peuple, ainsi les images deviennent des simples illustrations du monde, et il n’y a pas plus violent qu’une image calme pour redire le chaos ou plutôt le chaosmos inventé par James Joyce.

En prenant l’exemple du peuple arabe – «L’Arabie Heureuse» d’Alexandre Dumas apparaît à plusieurs reprises – que nous regardons mal, que nous laissons de côté, Jean-Luc Godard choisit des nous mitrailler d’images comme analogie à toute la mitraille qui fait crever le monde.

Et ce n’est pas innocent si les images des grands films d’hier sont en noir blanc tandis que celles d’aujourd’hui en couleur sont celles de la guerre, de notre guerre et de toutes les victimes de cette grande inattention, sensualité et explosions mêlées, comme si la guerre, «divine en elle-même car c’est une loi du monde» était la seule façon de nous exprimer. «L’acte de représenter implique une violence envers le sujet». Trop fin pour être professoral, cinéaste et spectateur responsable, Jean-Luc Godard prend cette phrase aussi pour lui.

Une fillette au maquillage de clown et un homme torse nu qui montre sa force

Le film est projeté jusqu’au 30 novembre 2018 au Théâtre de Vidy.