Parler de l’âge n’est finalement que la tentative désespérément poétique de cerner une comète qui nous fuit et rechigne à se laisser observer de manière fixe. Ainsi, parvenir à prendre l’âge en photo reste mission impossible.

Pourtant, l’âge se quantifie, seconde après année, chaque matin ajoutant une goutte d’huile sur le feu des jours. On peut l’avouer ou même tricher, la date de la naissance reste fixe, imparable, notée à l’état civil, même si personne en nous inspectant ne peut avancer sans se tromper ce chifre qui nous est chevillé au corps.

Autrement dit, bien que l’âge existe, il ne se voit pas en tant que tel.

Regarder les grains s’écouler dans le sablier de manière hypnotique ne nous en apprend pas plus sur les facéties infatigables du temps, car c’est bien lui le véritable auteur de ce drame.

Le problème de l’âge est de s’être acoquiné avec le temps, ce géant ou ce lilliputien, ce traître ou cette armure fidèle, chaussé par moments de bottes de sept lieues ou nous devançant à pas de saucisson… Bien qu’avançant toujours à la même cadence, il nous donne l’impression d’être long ou trop court, selon l’emprise de la douleur ou l’offrande d’un plaisir, sorte de barbapapa qui se métamorphose, paresseux ou guépard, limace ou faucon pèlerin.

Qui sommes-nous? Où allons-nous? Quelle heure est-il? Une main nous force à avancer, debout comme couchés, en mouvement comme en position de chien d’arrêt. On a beau procrastiner, le temps nous attend appuyé contre le chambranle, imperturbable, toujours gagnant.

L’âge est le fruit du temps, plus proche de la pomme qui se fripe dans le compotier que celle cueillie par Eve il y a un certain temps. Il est par essence ce qui fuit, ce qui fut et, si au moins, il nous fuyait nous, mais non, il court tout seul, sans ami ni trompettes, chasseur solitaire de néant, bien décidé à être toujours devant. Grand bien lui fasse! Il n’a qu’à être en tête cet éclaireur incontournable, il n’est finalement qu’une avant-dernière couleur entr’aperçue avant l’obscurité comme le dit si joliment Philippe Jaccottet, un point lumineux avant la douce éternité.

 

Photographie: Flip Schulke via Flickr.