«Vol au-dessus d’un nid de coucou» est l’exemple d’une histoire extraordinaire sur la vie à l’intérieur d’un asile psychiatrique. D’autres metteurs en scène ont traité le sujet, notamment Werner Schroeter avec «Le Jour des Idiots» (Tag der Idioten, 1982) et Philippe de Broca avec «Le Roi de cœur» (échec à sa sortie en 1966, il deviendra culte aux Etats-Unis dans les années 80). Si on ne peut comparer le film dramatique-esthétique de Werner Schroeter avec la douce bluette rigolote de Philippe de Broca, on peut constater que le message de fond est le même.

Photographie d'une jeune femme asisie à une tableDans «Le Jour des Idiots», le cinéaste Werner Schroeter détourne l’idée initiale qui serait de penser qu’être enfermé dans un asile psychiatrique est un enfer. Carole Bouquet atterrit dans un asile de femmes aliénées suite à des comportements hors norme. Dans ce lieu clos, d’abord observatrice, Carole se fond avec l’ambiance, murée dans sa robe de chambre grise. Tout ici est en gestes désordonnés. A la salle de bains, les femmes en peignoirs entrouverts jouent avec leurs doigts utilisant crèmes et dentifrices comme peintures sur les miroirs. Dans l’église, avec leurs couronnes mises de travers, elles jurent avec l’austérité des lieux. Elles s’adonnent aux joies du bondage mais en pantoufles. Au réfectoire, sur la moquette verte qui rappelle un gazon, elles câlinent des lapins en peluche. Un monde de gouttes et de délires, de baudruches rouges et de blouses blanches avec comme musique le grincement des lits en fer… Carole rêve de s’échapper de ce qu’elle croit être un enfer mais curieusement, après s’être éloignée, elle se constitue prisonnière comme si ce lieu protégé, ce cocon vibratoire où l’amour circule à sa façon était finalement la seule possibilité de vivre libre.

Avec «Le Roi de cœur», allégorie de la Nef des fous, nous sommes en 1918, à quelques semaines de la libération, mais l’armée allemande ne veut pas se retirer sans offrir un dernier cadeau piégé en dissimulant dans un blockhaus des bombes recouvertes de béton. Alan Bates, jeune soldat anglais, rêveur et colombophile, le seul à parler français, est envoyé dans ce village de Marville pour résoudre un problème trop grand pour lui, découvrir le lieu où sont cachées les bombes. Voulant fuir des soldats allemands il trouve refuge dans « l’asile d’aliénés » du village où s’amuse en autarcie une bande de doux dingues qui, délivrés par hasard, s’éparpillent dans la ville, se déguisent en pompiers, en évêque ou en prostituées, investissent les lieux laissés poussiéreux, vivant à cent pour cent leur nouvelle vie hors-barreaux. Le soldat romantique et pacifiste est élu roi de cœur.

Les scènes cocasses se suivent, dont certaines similaires, les femmes déguisées en actrices de cabaret figurant dans les deux films. Bien qu’opposés dans leur apparence, ces deux histoires ont des résonnances communes. L’autorité représentée par les médecins dans «Le Jour des idiots» ou les militaires dans «Le Roi de cœur». Les murs gris et beiges de l’asile comme ceux de la ville détruite par les attaques. Les soies et les satins qui posés comme de la peinture sur les êtres égayent ces lieux où la souffrance de la folie comme de la guerre a laissé des traces. L’esprit baroque qui se moque des conventions. Des morts par pendaison ou par balles.

Même fin lorsque les deux héros Carole Bouquet et Alan Bates finissent par retourner dans cet espace clos où la fantaisie n’est pas montrée du doigt. «Je reste ici et je ne bouge plus» dit Plumpick tandis que Carole enfile à nouveau son peignoir gris soulagée de réintégrer son cocon, tous deux enfin protégés.

Fou-rire contre rire fou, ces deux histoires disent la même chose.

Photographie noir-blanc d'une jeune femme debout dans le couloir d'un asile