Entre émancipation et perte: l’autonomie.

Dans son essai «L’adolescence, un passage» Pascal Roman compare cet état à une utopie, un état qui serait «hors-lieu».

Sous forme d’abécédaire, le livre se compose de chapitres courts, deux pages chacun, enrichis de citations puisées dans des romans comme dans des essais, de Marie Ndiaye à Manon Leresche, de Rabelais à Julien Burri.

Alors qu’on pense avoir fait le tour de ce tsunami, et même si on se sent calés sur le sujet, très vite on se surprend à (re)découvrir des axes fondamentaux. La différence entre l’agressivité – recherche du lien – et la violence, les stades différents des troubles alimentaires avec le concept de l’anorexie restrictive, les bienfaits de la solitude ou l’importance de l’agir dans une période où le jeune être en devenir subit, chaque état analysé se termine par un passage littéraire en relation avec le thème.

Même s’il évoque les appellations d’aujourd’hui, sexting, binge drinking, grooming ou happy slaping, Pascal Roman ne tombe pas dans le piège du parler-jeune, préférant pour ces effets laisser s’exprimer les auteurs comme Nasse Djemaï ou Malin Lindroth qui pimentent agréablement le sujet.

Avec «l’Adolescence, un passage», on rafraîchit aussi ce qu’on savait déjà de manière incomplète. Le terme d’addiction provient du latin comme l’explique l’auteur «dans la Rome antique, il s’agit de la dépendance entre un homme qui ne peut rembourser sa dette, et son créancier, le premier devenant l’esclave du second…», et ce mot lié à cette période de dépendances diverses revient souvent. Tout comme le mot corps, «siège des premières sensations» et gare de triage des pulsions. Sont aussi passées sous la loupe les conduites de l’extrême, la séduction des parents dont la «confusion des langues» glisse sur le terrain de l’inceste, créant une angoisse intense chez le jeune, ou la mode, à la fois soumission et appartenance au groupe, narcissisme et don de soi, qui offre l’occasion de se mettre en scène.

Zone de tous les contraires, sous son aspect tumultueux l’adolescence n’est rien d’autre qu’un balancement entre l’émancipation à outrance et l’envie de rester un enfant nourri de sucre, qui traîne dans son lit et préfère les aliments mous ou liquides. L’acquisition des limites vécues alternativement comme protection ou prison, ou l’autonomie entre émancipation et sensation de perte, accompagnent cet état paradoxal.

Tout en restant sérieux et en mettant en garde, l’auteur dédramatise. Les parents doivent être bienveillants quitte à mettre leur susceptibilité en veilleuse, ronger leur frein dans l’ombre voire se muter en grands sages experts en conflits qui ne sont finalement que des tentatives maladroites de rester en contact, «des témoins de la vitalité des liens».

Cet essai nous rappelle combien le lien reste le fil rouge de cette traversée, un lien à conserver à tout prix malgré les remous qui ne sont finalement que des creux annonciateurs d’une île à conquérir, celle de l’estime de soi.

Couverture d'un livre sur l'adolescence

«L’adolescence, un passage» de Pascal Roman, aux éditions Antipodes
Photographie: Francesca Woodman