Mettre en parallèle deux artistes d’époques distanciées de plus d’un siècle permet de voir que la révolte virevolte à chaque époque avec la même intensité.

Est-ce qu’on peut décrire Daumier comme un punk avant l’heure, taguant chacun de ses dessins politique d’une phrase percutante, précis, concis, cassant, et déduire que Raymond Pettibon est un caricaturiste verbal, sorte de chansonnier d’avant-garde, qui additionne son encre de Chine à des pigments révélateurs?

En 1830, Honoré Daumier commence une carrière de caricaturiste politique en enchainant des lithographies pour la revue satirique «La Caricature», il a 22 ans. A 23 ans, au début des années 80, Raymond Pettibon se fait connaître sur la scène musicale californienne grâce à son frère membre du groupe punk-rock «Black Flag», en créant des affiches et des pochettes d’album pour son frangin.

Le grand écart de 150 qui les sépare n’est en fait qu’un saut de puce tant ils s’entendent pour démonter la société et cumulent les points communs. Ils sont tous deux fils d’artistes, le père d’Honoré Daumier est un vitrier qui écrit de la poésie ce qui l’amène à Paris, tandis que le père de Raymond Pettibon écrit des polars. Tous deux sont nés dans une région ensoleillée, Marseille ou le sud de la Californie, chauds creusets de futures ébullitions. Daumier débute dans le do-maine de la lithographie et produit des plaquettes pour les éditeurs de musique ou des illustrations publicitaires, de son côté Pettibon crée le logo ainsi que le nom du groupe de punk hardcore «Black Flag» tout comme des covers de disques pour Sonic Youth ou Foo Fighters.

Le Kunstmuseum de Winterthur n’a pas lésiné sur le nombre de dessins qui sont d’une actualité fulgurante. Toutes les esquisses de Daumier sur l’Europe, le pouvoir, l’aveuglement du peuple, la pression des dirigeants bedonnants trouvent écho dans la caverne rock de Pettibon et de sa critique du rêve américain, avec en tête à crète son président dont la blondeur astringente transpire la catastrophe.

Louis-Philippe, magazines satiriques, peintures, sculptures, inspiration de Courbet ou Charlet pour Daumier, Trump, fanzines, couvertures de disques, collages, films, inspiration de Goya pour Pettibon, ils sont tous deux généreux, clasheurs et agités d’un même désir de justice véhiculé par leur art aussi prolifique qu’engagé.

«To make the persons unconfortable» … Chaos réorganisé grâce à leurs traits de génie, on ne peut que se réjouir de découvrir cette union-rébellion dont le point de rencontre explosif permet de continuer à secouer la fourmilière.

Honoré Daumier:

Raymond Pettibon:

Daumier-Pettibon au Kunstmuseum de Winterthur à voir jusqu’au 4.8.2019