Quel point commun y a-t-il entre Clara Luciani, Françoise Hardy et le Wu Tang Clan? Ils ont tous adopté le parlé-chanté dérivé du sprechgesang of course!

C’est en écoutant «Sainte-Victoire» de Clara Luciani, texte sur l’échec amoureux et sa résilience, qu’on peut constater que cette façon de chanter sans chanter est loin d’être rare.

Sorti en 1973, «Message personnel», qui fait l’effet d’une petite bombe, permet à Françoise Hardy de passer d’auteur à interprète.

J’ai peur d’être indiscrète…
Je ne peux pas vous dire que je t’aime peut-être…

À cette époque Françoise Hardy a envie de nouveauté, elle est attirée par Michel Berger qui lui propose «Message personnel» avec une exigence particulière, il désire qu’elle s’occupe de composer le texte parlé de la première partie et il gère la deuxième partie, paroles et pop. C’est une sorte de risque qu’ont pris Françoise Hardy en 1973 et Clara Lucciani en 2018 de réciter, – toutes deux parlent d’échec amoureux – acte qui mal dosé peut vite tomber dans l’anesthésiant. Mission réussie, le résultat donne une tension émotionnelle intéressante, car même si la musique dynamise et rend chaque tube accrocheur, elle dissipe, noie, éloigne, enrobe et fait passer les mots comme la poésie en deuxième plan.

La particularité de «Sainte-Victoire» est qu’elle n’est pas du tout chantée. Attirée par «une espèce de narration, une cohérence» explique Clara Luciani, l’artiste choisit de raconter.

Parce que sous le doigt son relief se détache encore gonflé
On devine que la blessure est récente…

Il y a de ça un bon bail, avec l’irruption du rap dans le paysage musical, nous avons découvert une autre façon de mastiquer des sons, on pourrait presque parler d’un régime dissocié textes et boucles. Les maîtres du flow de Wu Tang Clan,

If what you say is true, the Shaolin and the Wu Tang could be dangerous (yeah, yeah),
Ayo, Wu-Tang forever
Who rhyme better?
We too clever, the boom bap’s back, harder than ever

mais aussi les déjantés britanniques d’«Art Brut» ou de «The Streets» groupe de hip-hop garage des années 1990, n’ont jamais pris le risque d’entrer en mélodie vocale. Ils scandent et c’est là le charme de cette approche différente, plus cérébrale mais pas moins pénétrante.

Du côté des francophones, les parleurs-chanteurs sont nombreux. Les pionniers Marianne Oswald (interprète des années 30 de Prévert et Kosma), Jean Gabin avec «Je sais», Léo Ferré «Métamec» et le duo Dalida et Alain Delon avec «Paroles» ont ouvert la brèche du texte-roi dans laquelle Oxmo Puccino s’est imposé en prince de poésie. Gainsbourg avec «Melody Nelson», Brigitte Fontaine et «Dancefloor», mais aussi Mickey 3D «Respire», Joe Dassin «L’été indien», Benjamin Biolay «La Superbe», Bertrand Belin et les Liminanas «Dimanche»… sans oublier Bernard Lavilliers et «La prose du Transsibérien», tous, et certainement plein d’autres, ont suivi le chemin parallèle du dire sans fredonner. Comme le dirait Orelsan: les dauphins sont des violeurs, méfie-toi des apparences! Basique mais pas si simple.

Photographie: Danny Hastings