Dès les premières images, on le sait, on mettra un certain temps à s’en remettre. Alors qu’on pensait assister à la revanche d’un clown misérable dans une Amérique bouffée aux mites, on découvre la description lancinante d’une relation mère-fils qui, de manière totalement imprévisible, se mute et vire au cauchemar sous nos yeux.

Commençons par le véhicule le moins important, l’esthétisme. A la fois ruelle poisseuse et sunlights multicolores, vieille loge humide et costume flashy, appart’ insalubre et sang brillant, dès le premier contour l’œil est happé. Nous sommes bien là dans l’expression basique de l’osmose des opposés, rapprochement effectué avec brio, le dark side of the moon du laisser-pour-compte jumelé au soleil clinquant de la célébrité, avec son lot de crapules pompées de toute sensibilité qui non-évoluent dans un quotidien aux relents de poubelle.

Du fond de son puits le phénix flamboyant Arthur Fleck veille.

Fils adopté par deux salauds, enfant abusé, patate chaude refilée et écrasée, surnommé cyniquement «Happy» par sa mère toxique, il tente néanmoins de faire «le bien» avec sa perruque, sa phrase positive et son sourire dessiné, tout en étant sans cesse convoqué par «le mal» remis au goût du jour par les sales types qui l’entourent, celui-ci lui offrant, sous prétexte de l’aider à se défendre, ce flingue qui le perdra, objet emblématique qui permet à l’histoire de chavirer.

Les multiples facettes d’Arthur Fleck font de lui un personnage attachant et magnifique qui cherche à s’en sortir. Bozo schizo, fils bienveillant, ange exterminateur, amoureux non déclaré, tonton flingueur ou simplement nettoyeur éthique, il est à la fois la somme des extrêmes et rien de tout ça. Bien loin d’être le fou supposé, il ne dégomme pas sans réfléchir et la piètre image qu’il a de lui-même, travaillée par sa mère, l’emmène dans des contrées de violence où il n’aurait jamais mis les pieds.

Qui peut décider de ce qui est drôle ou pas?

Les questions étonnamment mènent le bal. Celles de ces aides sociales, piètres éducatrices-alibis sensées l’aider et l’accompagner dans son handicap pour améliorer sa vie, celles de cette star du show-biz qui le fait monter sur scène uniquement pour se moquer de lui, profitant de sa faiblesse.

Afin d’y répondre proprement, Arthur Fleck a chargé son flingue. Et bien après que le film soit terminé, son rire continue de résonner comme la monnaie de la culpabilité sociale rebondissant sur le pavé sale de la domination.

Joker, 2019, réalisé par Todd Philips

The Joker dancing