Six madones immobiles sous leurs draps fleuris servent de décor au discours enflammé de l’artiste Angélica Liddell venue évoquer gutturalement sa mère originaire de l’Estrémadure et décédée récemment, sous la forme d’une longue complainte.

Le fil rouge: la relation mère-fille. Le fil noir: un texte brut, à la fois tragique et poétique, sur la transmission difficile entre deux femmes.

La maladie, la déchéance du corps «l’impudeur, vertu du paradis» trouve l’exutoire dans les mots crus «Eve qui renaît d’entre les excréments» pour décrire cette relation douloureuse du même sexe. Dans le titre sommeille le terme «costilla», cette supposée côte d’Adam qui a permis de créer la femme, la fille comme la mère.

Devant le portrait de la génitrice en jeune femme, l’artiste se bat contre son emprise, comme possédée, en implorant d’une voix de plus en plus forte: «si seulement ton ventre avait pu être ma tombe…». Elle refuse de faire à son tour un enfant afin de ne pas le donner en sacrifice. Pour expier sa culpabilité, elle empoigne les rites des Empalaos, pénitents de Valverde, dont l’origine remonte au XVIème siècle, créant une œuvre de repentance, cordes et bâton comme épreuve.

Angelica Lidell au théâtre de Vidy avec Una costilla sobre la mesa: Madre

Dans la deuxième partie, on retrouve Niño de Elche, le chanteur polyvalent qui cette fois-ci délaisse le chant traditionnel avec une peau de bête pour partir dans des incantations, mimant la tristesse avec sa voix, peu de paroles, surtout des cris ou des borborygmes, une maestria vocale qui nous transporte dans plusieurs tessitures d’expiation jusqu’à l’au-delà.

Angélica Liddell n’est pas seule en scène, de nombreux autres artistes, danseurs ou figurants l’accompagnent dans ce bal de la douleur de la perte. Les déguisements, les fantômes et les masques alliés aux corps peints forment une galerie baroque et composent un tableau extatique où on croise une jeune enfant au chignon bariolé de rubans, un homme-fourrure ou une femme enceinte masquée, ainsi qu’une tête de cochon fraîchement coupée.

Les rôles finissent par se mélanger, l’enfant devient la mère, il n’y a plus qu’un seul cercle de vie qui nous transporte. «Nous restons là où nous naissons». La femme prend l’enfant par la main, joue à cache-cache avant de la prendre dans ses bras, réconciliée. Vraiment?

 

Au théâtre de Vidy-Lausanne, jusqu’au 6 avril 2019