Un acteur qui passe la barrière de l’écran pour rejoindre les mortels est le point commun entre «La Rose pourpre du Caire» de Woody Allen et «Entr’acte» de René Clair.
Le court-métrage psychédélique «Entr’acte» réalisé en 1924 par René Clair aux Etats-Unis sur un scénario de Picabia, invite à une fête de l’imagination et de l’’immoralité. Univers burlesque, facéties, les images tourbillonnent au fil des surexpositions. La caméra, œil moqueur ou voyeur, se balade avec impertinence. Grinçant est le rire lorsqu’un cercueil avance tout seul et finit par s’emballer ou que le convoi est conduit par un dromadaire. Facétieux est le regard qui se faufile sous les jupes des danseuses au pays des femmes à barbe. Trublion est le propos lorsqu’un faux cul-de-jatte monté sur roulettes se transforme en formule 1.
Le grand saut a lieu à la fin lorsque le chef d’orchestre-magicien fait disparaître les gens autour de lui avant de traverser l’écran, déchirant le mot FIN.
«Est-il fréquent qu’un homme tellement épris d’une femme quitte l’écran pour la rejoindre?». Dans le film de Woody Allen «La Rose pourpre du Caire» (1985) objet multi-temporel, Tom Baxter l’explorateur n’attend pas longtemps pour quitter l’écran. Serveuse rêveuse, Cécilia est venue voir le film plusieurs fois. Il l’a remarquée. A la dix-septième minute il franchit la barrière pour venir prendre Cécilia par la main et l’emmener dans une zone entre réalité et fiction.
Les quiproquos et les bonnes phrases s’enchainent. Scénario soutenu par des emboîtements subtils, la fiction se mue en réalité et le cinéma en théâtre. Le fond philosophique permet au metteur en scène de mettre en parallèle le concret et le fantasme tout comme les points divergents entre la vraie vie et l’idéal. Ainsi, lors de leur premier baiser, l’acteur s’étonne de ne pas voir un fondu-enchainé tandis que Cécilia, entrainée malgré elle dans le film lorsque Tom Baxter revient sur le plateau annoncer la fin de son rôle, lâche cette phrase «je me sens plus légère en personnage imaginaire». Ce processus d’instabilité permet de confronter l’acteur Gil Shepherd avec son personnage jusqu’à les faire se battre.
«Perfect but not real» ou «toujours bien coiffé, c’est l’avantage d’être un personnage imaginaire», Woody Allen en maître d’aphorismes ne se prive pas de glisser quelques idées au passage.
Cependant, plus qu’un film sur le vrai et le non-vrai, «La Rose pourpre du Caire» semble traiter surtout de la lutte des classes, de la distribution des «rôles réels» et de l’assignation de chacune et chacun à son destin, doré façon Hollywood ou sombre quotidien éclairé par le rêve éternel du cinéma.
«La Rose pourpre du Caire»
1985 / 1h 25min / Etats-Unis
De Woody Allen
Avec Mia Farrow, Jeff Daniels, Danny Aiello
«Entr’acte»
1924 / 17min / France
De René Clair
Avec Jean Börlin, Francis Picabia, Erik Satie, Rolf de Maré, Marcel Duchamp