Ils sont dans le bus, dans la rue, veste ouverte malgré la bise, riant de toutes leurs dents blanches de débutants, chargés de leurs cahiers tagués, de leurs notes, de leurs instruments. Ils se bousculent et partagent leurs chewing-gums, ils sentent la joie et le je-m’en-foutisme et, même si leurs sacs à dos pèsent une tonne, ils ont l’esprit libre.

Par bandes, ils avancent, riant plus fort que le vent, s’invectivent à dix mètres, s’insultent avec joie. Leurs cheveux sont emmêlés, leurs pantalons déchirés, leurs baskets salies par les flaques, leurs regards purs. Ils rient et leurs rires sont cette énergie à laquelle tu te rallies avec effet immédiat. Par quelle magie te semble-t-il que ces temps pourtant lointains sont aussi nets et brillants qu’un miroir fraîchement lavé ? En eux, tu te revois, c’est aussi simple que ça.

Jamais, ils ne s’assoient dans le bus ou dans le métro, ils préfèrent rester debout et sautillants, prêts à bondir, ils ne tiennent pas en place, se poussant pour mieux se toucher, mieux se sentir, être proches, débraillés, pleins de vie. Le corps s’exprime de mille façons, avachi sous un capuchon ou dynamique, il est le vecteur par excellence.

Hier, ils enlevaient leurs chaussons dans leur poussette, laissaient tomber leur hochet, t’envoyaient des sourires sans dents et tu fondais. Ils aimaient les petits pains au lait et les compotes, le sirop et les mouchoirs pastel à suçoter, s’émerveillaient devant une peluche multicolore.

Mais, maintenant, c’est autre chose, ils resplendissent, ils ne cherchent plus ton regard, leurs peaux sont encore plus jolies que le canapé d’alcantara rose de la grand-mère, leurs cheveux plus brillants que le bitume gorgé de pluie. Leurs doigts sertis de bagues et d’encre créent des figures dans l’espace, la musique les accompagne, leurs cous sont tendres et leurs paroles épicées: nos jeunes.

Paru dans Générations, mai 2018
Photographie: Siân Davey, de la série Martha