Les chamboulements ne sont pas seulement inhérents à l’évolution, ils débordent dans le cinéma, la littérature ou la vie artistique, effets spéciaux, calvaires physiques ou remaniements à l’appui.

Dans «Les coulisses du tournage» de «La Belle et la Bête» de Jean Cocteau, Dominique Marny raconte l’effroyable réalisation de ce long-métrage qui semble être plus un film d’horreur que le film lui-même. Outre le château peu chauffé et l’humidité constante de la banlieue parisienne d’Epinay, le maquillage de Jean Marais prend quatre heures par jour, dont trois pour le visage et une pour les mains. La colle sensée maintenir les poils entrave la circulation du sang, les dents passées au vernis noir l’empêchent de manger et il est contraint de se nourrir de purées et de compotes. Très vite les furoncles apparaissent, mais nous ne pouvons que constater les magnifiques résultats de cette souffrance: la Bête, une fois façonnée, est bien belle, aussi belle que «la Mouche» de David Cronenberg dont les maquilleurs ont gagné un Oscar grâce aux cinq heures quotidiennes passées à transfigurer Jeff Goldblum.

Autre insecte, autre métamorphose que celle du livre du même nom et du destin tragique de Gregor Samsa créé par Kafka. Un matin, un jeune homme se réveille dans la peau d’un cafard. Tout en lui s’est modifié jusqu’à sa voix. Entre dégoût et pitié, sa famille le cache, il est devenu un monstre dont ils ont honte. Etonnamment, c’est le changement de ce fils qui va permettre au reste de la famille de s’épanouir ou de s’émanciper, comme si l’exclusion de l’un permettait l’expansion des autres.

Psychologiques, identitaires, spirituelles, sexuelles, les transmutations ne cessent de fasciner. Elles sont parfois rigolotes, on se souvient du duel entre Merlin et Madame Mim de Walt Disney où les deux magiciens rivalisent d’imagination pour sortir gagnants du combat animalier qui les oppose, ou des premiers instants d’amour dans lequel on découvre Barbapapa imiter la forme d’un cœur pour séduire Barbamama. Idem pour Erik Sprague, l’homme lézard, ce diplômé en philosophie bardé d’écailles qui a fait de son corps un espace de mimétisme en perpétuelle évolution… Quand elles ne tournent pas au dramatique, à l’image de Michaël Jackson, hésitant entre Bambi et Néfertiti.

Refondre la forme ou amplifier son potentiel mental est aux yeux des mortels l’expression de la puissance des divinités. Et peut-être la seule façon de faire advenir en soi un peu de cette divinité-là.