D’une élégance saturnienne et d’une brutalité à facettes, «Jumpman» de Ivan I. Tverdovski, avec Anna Slyusareva et Denis Vlasenko, se présente comme un lit à deux étages:

En bas se situe la première couche où se jouent les clichés de la corruption, draps sales et je m’en-foutisme, et on voit combien la justice se moque de la justice. La distance du cinéaste et son humour permettent de ne pas avancer sur des sentiers battus. La cage de verre, dans laquelle moisit l’accusé rendu prisonnier et aphone, symbolise avec finesse l’incapacité de s’en sortir du moment où on est piégé. Le but est simple: ne jamais au grand jamais avoir à faire avec la justice, sauf que…

Sauf que dans un contexte de pauvreté, la débrouillardise est incompatible avec la loi.

Mais c’est la deuxième couche supérieure la plus intéressante, les démêlés politiques ne servant qu’à mettre en valeur avec d’autant plus de finesse le joyau de cette relation mère-fils.

«Jumpman» est un scénario original, une histoire peu banale et totalement immorale. Une mère, qui a abandonné son fils tout bébé – dans un de ces fameuses boîtes de naissance qui rappellent les vide-ordures de notre enfance – sous prétexte qu’elle est trop jeune et qu’il souffre d’une maladie étonnante de ne pas sentir la douleur, s’enquiert d’aller le rechercher à ses quatorze ans dans cet orphelinat où lui et ses amis ont mis au point un jeu qui consiste à être ficelé par un tuyau d’arrosage jusqu’à l’évanouissement, jeu duquel le protagoniste sort gagnant en vue de sa résistance à la douleur.

Femme de peu de foi, la mère a réfléchi: ce fils pourrait lui servir et même mieux, lui ramener de l’argent grâce à cette fameuse insensibilité physique dont il est victime.

Elle ira donc le chercher. L’histoire est lancée. Après une fuite et un début qui ressemblent au bonheur, très vite le drame apparaît, noyau dur de l’histoire: le gagne-pain de la mère provient de la mise en danger du fils qui par manque et soif d’amour se laisse faire…

Magnifiquement imprévisible, le personnage malsain de la mère séductrice alliée à l’amour inconditionnel du fils fabriquent sous nos yeux une histoire à couper le souffle. Aussi physique que symbolique «Jumpman» ne s’arrête pas en si joli chemin, il nous tire par la manche pour nous emmener dans les fourrés, suite à une reconversion imprévue. Un soir la mère saoule et sur la pente savonneuse de l’inceste lui dit qu’elle l’aime, le choc lié à cet aveu lui rend sa sensibilité. Il ne peut donc plus utiliser son corps comme un objet, ni utiliser la soumission comme lien affectif, et c’est à partir de ce moment que, paradoxalement, il rejette sa mère.

Passant à côté d’une brutalité-cliché, ne cherchant pas les sirènes faciles des scènes cultes et débiles qui fleurissent systématiquement dans les films, Tverdovsky surfe sur la violence tout en gardant une grande justesse.

JUMPMAN au cinéma Bellevaux, un film d’Ivan I. Tverdovsky, 2018, Russie/Lituanie/Irlande/France, DCP, version originale russe sous-titrée français, 95′, 16/16 ans