Par où commencer? Par 81 et l’élection de Mitterrand alors que, comme le dit Désirée Frappier, elle pensait qu’une pluie de roses allait tomber du ciel?
Même si «La vie sans mode d’emploi, putain d’années 80», roman graphique haletant, est avant tout l’histoire de Désirée, une artiste qui monte à Paris, c’est aussi un manifeste politique et un témoignage rock.
Jeune actrice et styliste pleine d’’llusions, Désirée quitte Bordeaux. Elle a pris des cours de théâtre et vient de créer sa propre pièce, sauf que le théâtre s’avère très vite une belle galère et qu’elle ne parvient pas à obtenir son statut d’intermittente.
Désirée rebondit, crée des habits pour ses copines pour gagner un peu de thunes. «Je coupe, je cloute, je couds, je zippe tous ceux qui passent à ma portée». Elle rencontre Arto, batteur et percussionniste, tombe très vite enceinte de leur fille Mélo.
D’apparts pourris en dégringolades financières, avec des plans censés être d’enfer, issue d’une famille modeste – elle se souvient de ses culottes de laine tricotées – Désirée ne baisse pas les bras. Se sentant plus costumière que styliste, elle fréquente les milieux rock…
Contrairement aux Etats-Unis où on crée sa petite entreprise en une journée, on suit Désirée dans une période vibrante de bâtons dans les roues, de bonheurs collectifs, de manifs et de musique.
Parsemé de galères structurantes qui fabriquent la romancière et scénariste qu’elle va devenir, le quotidien de la jeune femme est aussi celui d’une jeune mère attentive qui vit sa vie à cent à l’heure.
La musique accompagne Désirée, à la fois comme plaisir mais aussi comme possibilité de créer des fringues pour des chanteurs, par exemple Mona Soyoc de KaS-Product ou les Béru. «C’est Rachid Taha qui m’a inspiré mon premier t-shirt zippé » précise-t-elle dans le roman.
En 1981, tandis que Bashung chante «Vertige de l’amour»… la découverte du VIH marque le début d’une catastrophe sexuelle internationale. Le rock est là, les manifs grondent, le monde a mal, le sida se fait les dents.
En 1983 Eurytmics balance son tube «Sweet dreams» et le météorite des Rita Mitsouko se rapproche. Il faudra attendre 1984 pour les découvrir avec «Marcia Baila»… Tandis que Jean-Louis Aubert chante «Un autre monde», la catastrophe industrielle de Bhopal, en Inde, fera 3500 morts la première nuit pour un bilan si attristant de plus de 25’000 décès.
Gorbatchev arrive au pouvoir en 1985, c’est aussi l’année de la catastrophe du stade du Heysel due aux Hooligans. Une période à la fois terrible et prometteuse puisque Coluche crée «Les restos du cœur» et Harlem Désir «S.O.S racisme» dont le slogan «Touche pas à mon pote» deviendra un badge à fixer sur son cuir ou sa veste en jeans. Et Jeanne Mas sussure «toute première fois»…
Le 26 avril 1986, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, dont les conséquences sont minimisées, déchire la planète. Bashung chante «SOS Amor» et Caroline Loeb «C’est la ouate». 8 mois plus tard, la manif d’étudiants contre le projet de la réforme universitaire Devaquet tourne mal, entraînant la mort de Malik Oussekine.
De 81 à 87 l’émission de Michel Polac «Droit de réponse» traversera ces années durant lesquelles l’expression personnelle si sauvage soit-elle avait sa place.
Pleine de fougue, sensible et observatrice, Désirée est immergée dans son époque. Comme elle le dit «Ce que j’aime avec la couture, c’est qu’elle ne m’empêche ni de réfléchir ni d’écouter les histoires des autres». Grâce aux magnifiques dessins d’Alain Frappier, on la suit le cœur haletant sur les traces de cette comète inoubliable: les années 80…. Et on comprend le choix du noir/blanc pour cette période si contrastée, union sulfureuse d’évènements bien terribles et terriblement bien.
La vie sans mode d’emploi/Putain d’années 80 de Désirée et Alain Frappier (2014)