S’inspirant d’amoureuses mystiques comme Hildegarde de Bingen ou Sainte Thérèse d’Avila, mais aussi de ses artistes de cœur, Le Caravage ou Gérard de Nerval, Ernest Pignon-Ernest a choisi pour ce projet de réunir sept poses alanguies, entre maigreur et don de soi, dans un seul élan proche du miracle et de l’embrasement, d’où le titre «Extases»…

C’est une installation unique située dans la crypte de l’Eglise des Ames du Purgatoire, dans un espace clos sans contradiction. Posées sur une plaque ronde semblable à une mare noire brillante qui reflète les sérigraphies des femmes, les hystériques dessinées grandeur nature apparaissent sur des rouleaux de résine et d’aluminium. Au nombre de sept, leurs corps extatiques déformés par la jouissance platonique sont parfois dérangés par des sursauts de lumière qui permettent au spectateur de capter les poses alanguies et dénudées avant que les images ne retombent dans l’obscurité mystérieuse.

Fasciné par les grandes mystiques et leurs désirs ardents, l’artiste de Nice a demandé à Bernice Coppieters, danseuse Etoile des Ballets de Monte-Carlo, de poser pour lui afin de retranscrire au plus sensible les anatomies torturées par l’appel du Christ. Noir, le dessin se mêle à la résine, éclairée, la chair se marie à la lumière céleste, aux trois-quarts déroulées, les ondulations suivent les tressaillements de la peau. Comme le souligne Ernest Pignon-Ernest «le support a lui aussi son rôle plastique».

Bernice Coppieters

Ernest Pignon-Ernest "Extases"

L’œuvre de l’artiste urbain est une fois de plus en rapport avec le classicisme et la douleur, un puits de création inextinguible. Actif dès les années soixante dans le street art, le plasticien n’a jamais posé son charbon de Garais. Il a dessiné d’abord au fusain ou à la pierre noire sur des supports fragiles comme du papier journal qu’il a collé sur les murs accidentés des villes, œuvres se fondant et s’abimant au fil des jours jusqu’à rendre belle leur dégénérescence.

Toujours en symbiose avec la tragédie et les rites, l’artiste a créé à Naples, lieu sacré où les mythologies s’imbriquent naturellement, «Epidémies» – une série de 80 sérigraphies – en souvenir des grandes pestes du XVIIème siècle. Cette ville familière dont les pavés irréguliers en pierre volcanique invitent à un équilibre précaire l’inspire aussi pour son Vésuve, véritable épée de Damoclès dans le quotidien des napolitains.

Ernest Pignon-Ernest "Epidemies"

A l’image de la vie, l’éphémère de ses œuvres est au centre de ses préoccupations tout comme les grandes souffrances de l’existence, en témoignent «Sur l’avortement» (1975), «Expulsions» (1978), «Soweto» (2002) ou «Prisons» (Lyon 2012). Les poètes, autres écorchés – Pasolini, Rimbaud, Artaud ou Genêt – n’échappent pas à son trait noir.

Ami de l’ombre, Ernest Pignon-Ernest œuvre la nuit, cherchant la limite entre ce qui saute aux yeux et ce qui tarde à se révéler. Hors cadre et hors limites, la rue est son atelier en plein air. Entre jongleur de piété et esprit iconoclaste, il aime «exacerber les lieux pour les comprendre plastiquement». Ainsi ses saintes torturées d’amour épousent parfaitement la froideur de cette crypte, comme si elles étaient en toute simplicité à leur place, entre feu et glace.

L’exposition est à voir jusqu’au 19 mai 2019 alla Chiesa di Santa Maria della Anime del Purgatorio ad Arco, via Tribunali, dans le centre historique de Naples.

Ernest Pignon-Ernest "Extases"