Comparaison n’est pas raison, mais vu qu’il s’agit ici de deux êtres de passion, donc présumés «déraisonnables», comparons-les le temps de ces quelques lignes.
Bien que tout semble les séparer, c’est pourtant la même cause qu’ils défendent, si bien que le fleuve sombre et poisseux de Dustan allié à la rivière pop aux allures de limonade rafraîchissante de Juvet ne font plus qu’une cascade retentissante.
Côté cour, dans un de ses films qu’on peut découvrir à la Kunsthalle de Fribourg, Guillaume Dustan promène son charme cabossé, arborant une moustache noire façon Supermario ou Freddy Mercury, tout en répondant aux questions moulé dans un futal en cuir qui laisse, lorsqu’il tourne le dos à la caméra, ses fesses apparentes.
Côté jardin, ancien mannequin sapé milord au visage d’ange, croisement entre Marlène Dietrich et la Belle au Bois dormant, se positionne Patrick Juvet, la chemise de satin dorée largement échancrée sur une chaînette.
Côté cour, Guillaume Dustan fils d’architecte, né avec un piercing d’argent dans la bouche, évoque Nietzsche ou les films de Marguerite Duras «Duras c’est bien parce que tu peux dormir, c’est calme».
Côté jardin, Patrick Juvet, enfant d’un commerçant en radios et télés, n’oublie jamais qu’il vient d’un milieu modeste. Moqué par les milieux intellectuels, il accepte l’étiquette de «chanteur ès minettes» …
Là où Patrick reste discret quant aux confidences sur sa vie charnelle prétendue bisexuelle, Guillaume n’est pas avare de détails, preuves visuelles à l’appui dans ses vidéos classées X. Opposés encore lorsque Dustan l’engagé parle politique et que Juvet ne s’épanche pas, même si sa mère a été députée au Grand conseil vaudois.
Là où Guillaume Dustan se fiche de filmer flou et de donner à ses films un rendu cohérent, enchainant des propos ou des vues spontanés, Patrick Juvet perfectionne son image et propulse ses 33 tours discos dans les nuits américaines.
Contraires jusque dans leur popularité, Guillaume étant connu des happy few et d’une certaine tranche de la société, Juvet star internationale fait vibrer les guibolles du monde entier, ou dans leurs caractères respectifs, quand Dustan se dit «agressif pour anticiper la méchanceté générale», et que Juvet redouble de gentillesse envers ses fans, il suffit de regarder ses apparitions télévisuelles où il se laisse embrasser par des dizaines de groupies qui lui sautent littéralement dessus quand il chante tout en gardant le sourire.
Mais les deux antagonistes finissent par se rejoindre. Dustan œil-caméra au poing, Juvet âme-micro au bout des doigts, même implication totale, même ferveur. Chacun à leur manière, ils défendent la cause queer. Redynamisant une époque yéyé qui a fait son temps, Juvet se fait ambassadeur des boules à facettes du monde entier et devient l’idole des femmes et des trans. Parallèlement Dustan dépoussière les idées reçues en participant à la création du magazine Têtu «canard de la nation gay, dernier endroit des vrais débats, même les hétéros s’y sont mis».
Là où Dustan est engagé «il n’y a pas plus civil que moi», Juvet se révèle fédérateur, défenseur pacifiste d’un droit à l’ambiguïté. Ils ont à fleur de peau une veine artistique prolixe. Dustan a aussi été l’éditeur aux éditions Balland de «Rayon», la première collection entièrement LGBT éditée en France, sans oublier que Juvet est aussi un redoutable compositeur. Avec leur charme attractif, ensemble ils véhiculent la proposition d’un autre monde qui engloberait la question trans ou androgyne et ne séparerait pas la terre en deux moitiés de pomme étanches.
Dernier point commun: la Suisse, puisque Guillaume a connu son mari Tristan Cerf en 1999 à la Gay Pride de Fribourg, «cette histoire avec la Suisse va l’accompagner jusqu’à la fin et … c’est là où finalement il va passer le plus de temps» conclut-il.
Mais leur point commun le plus fort se situe au niveau de leurs cheveux: comme il le précise, la perruque verte de Dustan est le symbole de la réunification de l’homme et de la femme en lui, pareil pour Juvet dont la coupe féminine façon brushing de ses longs cheveux dorés unifie visuellement ses parts yin et yang.
Monstres ou vedettes? Etymologiquement, la vedette implique une notion de guet. Un peu comme si, chacun à leur manière, ils regardaient au loin pour nous avertir.
L’exposition des films de Guillaume Dustan est à découvrir jusqu’au 16.05. 2021 à la Kunsthalle de Fribourg.
Passerelle-vidéo, la Kunsthalle de Fribourg s’est mutée le temps d’une exposition en chambre d’écrans où on peut découvrir les nombreux films de Guillaume Dustan. Caméra DV au poing, l’artiste utilise son œil aguerri pour décrire les galères humaines, les inégalités de tous poils. Jamais avare de bons propos, il captive lorsqu’il évoque «la bougeoisisation de la voyoucratie» ou «la culture élitiste-dépressive». De ses nombreux films proposés à Fribourg on retiendra au hasard « queer squat », où la caméra tremblante et incertaine propose un regard minimaliste qui accentue la misère sans se départir d’un fond de sauce deep rock. Entre trash et cash, entre éclairage cru et néons fluos, la lumière se fait sur un monde et sa part d’ombre.
The films of Guillaume Dustan (2000-2004)
Fri Art Kunsthalle Fribourg
Petites-Rames 22
1701 Fribourg