De corps et de mots

Sous le titre de Mademoiselle Faust, Véronique Emmenegger, une jeune journaliste lausannoise, vient de faire paraître un cours récit. En vérité, on pourrait la comparer à une petite bombe dans le ciel de lettres d’ici. Non parce qu’il y a de quoi crier au prodige, mais simplement à cause de son ton et de son propos, inhabituels en un pays où la pudibonderie tient parfois lieu de morale.

Avec ses maladresses et ses tâtonnements, il s’agit bien, au fil des rencontres et des aventures, de la confession d’une jeune fille des années quatre-vingt, vivant et parlant d’une manière qui n’est pas forcément celle de papa maman. Voici une adolescente qui épouse la vocation de « collectionneuse d’hommes », pour qui chaque mâle devient une façon de se mieux affirmer, d’écrire sa révolte sur les draps. « Le lit est une page blanche où tout est possible », dit-elle. Car pour cette Mademoiselle Faust, qui se regarde évoluer, l’écriture et le sexe sont deux moyens qui lui permettent de s’exprimer. Elle paraît user des mots et des corps avec le même plaisir, avec le même vertige.

Tour à tour cru, drôle, épique ou agaçant, mademoiselle Faust est le premier fruit que Véronique Emmenegger nous offre de son jardin secret. Il y en aura d’autres… En attendant, elle a réussi à brosser le portrait d’un personnage comme on en rencontre rarement au sein de la nébuleuse imprimée : celui d’une jeune effrontée d’aujourd’hui, nourrie aux mamelles du rock et de la nuit. Ce n’est pas vraiment à l’eau de rose, mais plutôt relevé d’une liqueur piquante, encore peu raffinée, distillée par une louve parmi de grands méchants looks.

René Zahnd, Le Matin, 20 décembre 1987