Evidemment, lorsque les enfants sont encore petits, personne n’y pense. On les élève doucement et fermement en imaginant qu’ils seront pour toujours minuscules et mignons, heureux d’être en famille dans ce fameux nid qui les protège partiellement des tourments et des orages. Ils vont d’une pièce à l’autre. De Lego en Nintendo, en pyjama une pièce ou en jeans déchirés.

Toute belle chose a une fin, et c’est lorsque cette fin arrive qu’elle paraît surgir de nulle part, alors que n’importe qui d’autre l’aurait prévu et, surtout, qu’elle était inscrite sur le mur de la vie comme un tag élémentaire : arrive un jour où les enfants s’en vont.

Pas pour toujours, et déjà rien que cela rassure les parents effarouchés qui retournent dans l’ancienne pièce devenue sanctuaire, mais, en tout cas, ils quittent le nid pour acquérir leur appart qu’ils paieront avec leur thune et personne ne pourra plus leur dire de la ranger, cette fameuse chambre !
Cette alcôve, parlons-en, ça leur plaît de savoir qu’elle va rester intacte et qu’elle ne va pas devenir un bureau ou un espace de repassage, les voilà déjà qui préparent les cartons avec enthousiasme piquant, telle la pie un peu de trésors de « la case », comme ils disent. Tiens, de la vaisselle et un couvre-lit et pourquoi pas cette jolie théière et encore le fer à repasser et le toaster et ce fauteuil si confortable. Le tout se retrouve dans des cartons, puis dans la camionnette en compagnie des potes nombreux qui ont réservé cette journée à marquer d’une croix gaie.

Cette turne, parlons-en maintenant qu’elle est vidée de sa substance, de ce qui faisait son vivant, nette ou presque, car il est désormais interdit de jeter ce qui reste comme preuve de son existence, elle reviendra régulièrement dans son antre rechercher une chose ou l’autre, consulter ses agendas, s’esclaffer sur ses posters des Spice girls ou de Linkin Park, s’attendrir sur le modelage de son amoureux de l’époque réalisé en pâte à sel, touiller dans son carton à trésors, se souvenir avec émotion de ses Polly Pocket ou de sa poupée qui sentait la vanille, tant de petites choses chargées de sens qu’on pourrait ouvrir un musée.

Finalement, le nid n’est pas totalement vide.

Paru dans Générations, juillet-août 2018
Photographie: Adrienne Salinger.