D’autres Russies de Victoria Lomasko «donne une idée des changements qui se sont produits dans la société russe» dixit l’artiste militante féministe de gauche dont les sujets de prédilection vont des manifestations de l’opposition à la situation sociale des travailleurs immigrés.

Portraits dessinés de gens «ordinaires» voire invisibles, nous découvrons la vie d’un jeune tatoué dont le père est tombé sous le tramway ou d’une vieille femme coiffée d’une toque en fourrure récitant du Pouchkine dans le métro. Mais le peuple invisible n’est pas inactif, il se bat dans l’ombre ou les souterrains, organise, s’oppose, sue pour trois sous, tente de sortir la tête de l’eau sale.

Dans ce roman tout est affaire de contrastes. Les activistes orthodoxes brandissent des icônes, les féministes se battent pour être des artistes «dans notre pays, nos stratégies de vie finissent toujours par échouer» rien n’est jamais gagné ou donné, il faut arracher sa part chaque jour.

Encre noire en main, Victoria Lomasko décrit les situations, les visages et les propos en suivant des sujets précis distribués en chapitres vivants grâce aux personnages qui vous attrapent. «Le thème de l’esclavage moderne m’intéresse depuis longtemps» précise l’auteur qui a dessiné le scandale des douze femmes maltraitées par un couple propriétaire d’une supérette. Barkia et son fils Baourjan dont on a brisé les jambes, Moutabar jeune femme ouzbek diplômée d’une école de théâtre qui débarque à Moscou font partie des personnes qui ont subi des traitements cruels sans parvenir à s’échapper.

On découvre les «filles» en colère de Ninji Novgorod et les douloureuses conditions des travailleuses du sexe souvent congelées dans des camionnettes ou obligées de changer d’agence pour leur survie. Les «filles» livrées en robe de strass à la violence des clients ou aux infections n’ont pas même ici de prénoms… Le procès des Pussy Riot fait partie des événements majeurs tout comme la grève des routiers, un des métiers les plus courus en Russie, et leur porte-parole Tassia Nikitenko, 19 ans, qui a vécu avec eux durant deux mois dans le camp de Khimki.

En août 2010, Victoria Lomasko pénètre dans une colonie pénitentiaire pour mineurs. Pédagogue de formation, l’auteur utilise le peu de temps accordé pour les aider à reprendre confiance en eux tout en récoltant leurs points de vue sur les chefs d’œuvre de la Renaissance. Rare femme en ce milieu de testostérone, Natalia Dziadko, militante de Droits de l’homme, s’occupe des «gamins». Il y a Oleg le skinhead qui désire devenir politicien persuadé que les condamnations n’empêchent pas de devenir président, Evguéni, le braqueur de machines à sous ou Andreï qui dessine sur des mouchoirs. Autodidacte ennemi du formel, il a appris en recopiant des dessins à la bibliothèque.

Dessin d'une icône sur un mouchoir

Partout la violence côtoie la foi, présente avec ces petites icônes qui entourent même les télés ou via cette immense manifestation dans le parc de Torfianka contre la construction d’une des 200 églises orthodoxes prévues au programme. Partout il faut se battre, échapper à la psychiatrie punitive ou à l’emprisonnement, qu’on soit membre du mouvement LGBT, artiste, prostituée, routier, prisonnier, esclave, ou simple citoyenne. «L’affaire des femmes c’est la révolution et non la soupe!». Et le sel de cette révolution est cette puissante sensation d’humanité.

Dessin en noir-blanc

D’autres Russies, un reportage graphique de Victoria Lomask aux éditions The Hoochie Coochie