Artiste rebelle polyvalente et mystique, Claude Cahun n’a cessé de chercher à mettre «le merveilleux au goût du jour». Avec sa compagne Suzanne Malherbe, rencontrée alors que Lucie Schwob – tel est son nom – n’a que six ans, elle va arpenter les chemins non balisés d’un brouillage d’identités sans limites.
Née à Nantes dans le milieu privilégié de la grande bourgeoisie, Lucie Schwob est Lucette, la jeune enfant qui se cache sous les tables, derrière les rideaux et préfère se rendre invisible. Elle observe. Elle aime regarder la mer et se laisser bercer par le cri des embruns ou découvrir à sa fenêtre les masques du carnaval qui l’inspireront plus tard et donneront un parfum de déguisement et de dédoublement à tout ce qu’elle approche.
Trop sensible, incapable de s’inclure, c’est lorsqu’elle se fait lapider avec des graviers par des copines de classe que son père journaliste, le frère de l’écrivain Marcel Schwob, décide de la mettre dans une pension anglaise où elle découvrira la possibilité d’un entourage bienveillant.
Alors qu’elle se fait opérer de l’appendicite, elle expérimente la magie de l’éther, puis de l’opium, s’adonne au yoga, insomniaque et suicidaire elle commence ses premières photos et ses collages avec sa compagne Suzanne qui dessine sous le pseudo de Marcel Moore.
En 1916 l’artiste se rase la tête. En 1917 alors que René Cahun est tué au chemin des dames, elle prend le nom de sa grand-mère paternelle Cahun – qui signifie prêtre en hébreu – brouillant les identités avec le prénom unisexe Claude. «Plus qu’un pseudo mon véritable nom». Son souci primordial est de se rapprocher au plus de la neutralité.
Malgré une relation ambiguë voire méfiante avec André Breton, elle se joint aux surréalistes, nouant une amitié amoureuse avec Robert Desnos et une relation intense avec Henri Michaux.
*Nieder mit Krieg !
Avec son amie Suzanne elles sont en perpétuelle mise-en-scène mais aussi en ébullition marxiste et lorsque vient la guerre, distribuant des centaines de tracts, bricolant des affichettes qu’elles collent dans des églises sur lesquelles elles inscrivent «*plus jamais la guerre» elles finissent emprisonnées à Montpellier pour propagande anti-allemande. A la lueur d’une bougie plantée dans le socle improvisé d’une pomme de terre, utilisant du papier hygiénique pour écrire ses notes, Claude Cahun continue de créer dans sa cellule.
Sa santé fragile massacrée par cette détention, sa santé psychologique éprouvée par la mort de ceux qu’elle aime, notamment celle de Robert Desnos à Terezin, elle se retire avec Suzanne dans leur maison au bord de la mer.
Claude ou Lucette, Schwob ou Cahun, ses identités multiples se mélangent pour former la phrase ultime qui les contient toutes: «Je vais jusqu’où je suis, avenir qui nous fuit, on règlera tout ça!».
DVD Claude Cahun « Elle et Suzanne », film réalisé par Fabrice Maze (édition Seven Doc).
Collage avec l’œil: Ubiquité photogénique
Collage avec les têtes: tiré de Aveux non-avenus
Photo prise par sa compagne l’artiste Marcel Moore